Actualités

Pèlerinage en Russie

pélé-russie-les-pèlerins-dans-la-laure-du-monastère-de-Sergueiv-Possad-300x225

Regards croisés entre l’Orient et l’Occident

Les pèlerins dans la laure du monastère de Sergueiv Possad

Lors de l’équinoxe d’automne, juste avant l’arrivée du froid sibérien, trente-trois pèlerins du diocèse de la Nièvre, se sont rendus à Moscou et Saint-Pétersbourg, afin de découvrir les hauts lieux de la Sainte Russie et de rencontrer les chrétiens orthodoxes. S’ouvrir à une autre sensibilité religieuse et respirer le temps du voyage, avec « le poumon oriental » de notre Eglise, selon Saint Jean-Paul II dansson encyclique sur l’unité des chrétiens, fut une expérience riche, surprenante et stimulante. Le père Yves Sauvant, directeur des pèlerinages, accompagnait le groupe spirituellement, alors que les deux guides francophones Oxana et Julia, racontaient leur pays, à l’histoire féconde et aux monuments tutélaires.

Une liturgie étincelante et déroutante

Né au 12ème siècle sous l’impulsion de Vladimir de Kiev, prônant le monothéisme, le christianisme russe est originaire de Byzance. La majeure partie de la liturgie orthodoxe provient du cérémonial dela cour des empereurs d’Orient, dont les rites commémorent les principaux événements tels que la naissance, la mort et la résurrection du Christ.

Quel ne fut pas notre étonnement, voire notre émerveillement lorsque, franchissant le seuil des églises moscovites, nous avons été saisis par la profusion d’icônes, de dorures, de pierreries, de fresques et de mosaïques ! L’alliance manifeste entre la beauté temporelle et spirituelle est une caractéristique de l’orthodoxie, expliquée notamment dans la philocalie d’Evagre, où Le Beau seconfond avec le Vrai et le Bon, visant ainsi à élever l’âme des chrétiens. La puissance iconographique qui émane des iconostases est troublante et invite instinctivement au recueillement. Cette démarche de prière inconnue en Occident, finit par nous toucher et progressivement, nous nous laissons approcher par cette spiritualité, si différente de l’expression latine.

cathédrale de laroslav

L’icône, pour aller du visible vers l’invisible

Les Russes ont spontanément emprunté aux byzantins l’usage des icônes, les portraits du Christ, de la Sainte-Famille et des Saints. Si pour nous, chrétiens d’Occident, celles-ci semblaient difficilement conciliables avec le Décalogue (tu ne feras points d’images…) il en fut autrement pour les Byzantinset les Russes, qui ne rendaient aucun culte aux icônes, mais les vénéraient. L’adoration ne fait que« passer » par l’icône pour s’élever jusqu’à Dieu. « L’icône est présence de Dieu au milieu de sonéglise et en faveur de l’humanité. Ce n’est pas vous qui la regardez, comme on observe un objet, mais c’est Dieu, qui à travers elle se manifeste à vous. C’est véritablement une présence réelle », selon l’assomptionniste Michel Kübler.

La plus célèbre d’entre elles, Notre-Dame de Vladimir, Vierge de tendresse et sainte protectrice de laRussie, passe pour avoir en trois occasions protégé Moscou de l’invasion d’armées ennemies. Jusqu’en 1917, elle fut vénérée dans la cathédrale de la Dormition à Moscou, pendant lecouronnement des tsars, les élections des patriarches et à l’occasion de cérémonies d’Etat. Aujourd’hui, présentée dans la chapelle Saint-Nicolas de la galerie Tretiakov, nous l’avons admiréeentourée de chef-d ’œuvres d’art sacré du Moyen Age à la Renaissance.

En Russie, l’Eglise n’est pas considérée comme une « théorique maison de Dieu », mais comme Sa demeure même. La musique par exemple, ignore les instruments : elle est essentiellement vocale. Emus, nous l’avons été à la cathédrale Basile-le-Bienheureux lorsque l’ensemble « Doros » s’est élancé avec des voix cristallines dans un Notre Père en grégorien, puis une autre fois, sous le regard de fresques moyenâgeuses du monastère de Rostov-le-Grand. Par respect et en souvenir de l’agonie du Christ, les fidèles restent toujours debout à l’église, quelquefois pendant des heures ; Impossible de s’asseoir, il n’y a pas de chaises ! En se tenant debout, le chrétien signifie qu’il est déjà ressuscité, même s’il attend la résurrection du dernier jour. Par ailleurs, chacun déambule librement au cours des célébrations, enveloppé de généreuses volutes d’encens, se signant à trois reprises devant les icônes illuminées de petits cierges ocres.

Vue des tours nouvelles de Moscou depuis le Mont des moineaux

L’Anneau d’Or : Le cœur de l’ancienne Russie

Etonnés par le modernisme, la propreté des rues, du métro, et les proportions de Moscou qui ne cesse de se déployer sur presque 2000 km2, le contraste fut intéressant à observer depuis les fenêtres du car, qui nous véhiculait en direction d’une suite d’anciennes villes historiques de la Russiecentrale: Serguiev-Possad, Rostov-le-Grand, Iaroslav, Souzdal, Vladimir. Là, blotties à l’ombre d’épaisses forêts de résineux et de bouleaux feuillus, nous avons découvert des petites capitales de principautés, bijoux d’architecture où florissaient les arts et la culture religieuse à l’époque de la Russie pré moscovite, sans compter les isbas multicolores aux fenêtres ciselées.

Pavel, jeune moine en formation, nous a accueillis dans la laure du magnifique monastère de la Trinité-Saint-Serge, symbole de spiritualité et de patriotisme, sous protection de l’UNESCO. Nous avons longuement échangé sur nos pratiques religieuses, nos différences, notamment au sujet de la Sainte Trinité et du Filioque : le Saint-Esprit procède-t-il du Père ou du Père par le Fils ?…

C’est en parcourant les terres noires et fertiles de l’Anneau d’Or, que l’on perçoit véritablement ceque fut la Sainte Russie, la Russie des croyants, avec ses fastueux monastères aux bulbes dorés etbleus étoilés. Longtemps laissés à l’abandon, nombre d’entre eux reprennent vie depuis la chute du communisme en 1990, avec l’ouverture de séminaires et d’écoles paroissiales. De vieilles églisesdétruites sous Staline sont restaurées, voire reconstruites à l’identique, telle la cathédrale du Christ- Sauveur de Moscou, symbole du retour de la foi en Russie. Trente ans après cependant, un certain essoufflement se fait sentir, en raison de la crise économique qui touche le pays le plus vaste au monde.

Saint-Pétersbourg, une fenêtre sur l’Europe

Le Kremlin de Moscou, berceau des tsars et des patriarches, symbolisait la vieille Russie. Saint- Pétersbourg, située à 600 km au nord-ouest, à l’embouchure de la Neva, incarne la transformation du pays en un puissant empire, culturel et scientifique. Ville multiconfessionnelle, le catholicisme y est présent depuis sa fondation en 1703, par Pierre le Grand. «Près de 10000 catholiques fréquentent aujourd’hui les sept églises de la ville, et depuis la Pérestroïka, les conversions progressent doucement au sein de l’église catholique russe », nous a confié un optimiste prêtre polonais dominicain de la paroisse Sainte-Catherine d’Alexandrie. Les relations entre Catholiques et Orthodoxes sont très satisfaisantes, nous a par ailleurs exprimé un moine barbu de la Laure du monastère Alexandre-Nevski. En revanche, pour l’Etat, l’Eglise orthodoxe est un élément demobilisation sociale en faveur de l’affirmation de l’identité russe.

L’illustre icône de Notre-Dame-de-Kazan, vénérée pour ses guérisons miraculeuses, dans la cathédrale du même nom, fut l’ultime étape en orthodoxie du groupe nivernais, avant de retrouver le souffle du « poumon occidental » de l’Eglise. Nous ne regarderons plus jamais les icônes de la même manière ! fut le cri du cœur de l’ensemble des pèlerins, à l’issue de leur enthousiaste cheminement en terre orthodoxe.

page3image1742688

Dans les églises russes, l’iconostase, tel un écran richement ouvragé illustre un passage de laBible. Elle s’élève entre le sanctuaire et la communauté afin de matérialiser la division entre les mondes divin et humain. L’ouverture des Portes Royales en son centre, unit symboliquement les deux.

 

page3image1741120

 

 

 

Une forêt de dômes multicolores, en tuiles vernissées ou taillées en bossage, couronne la cathédrale Basile le Bienheureux, élevée au 16ème siècle sur la place rouge, à Moscou. Il s’agit en fait de neuf églises réunies par des passages voûtés.

Fabienne Savajols