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Lourdes, homélie de la messe d’ouverture – 6 août 2019

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TRANSFIGURATION

Quel était le quotidien de Jésus ? On venait le chercher, on avait besoin de lui… On lui amenait les malades pour qu’il les guérisse… On attendait de lui qu’il tire de la Loi de Moïse des solutions à leurs problèmes… Après la multiplication des pains, ils sont allés jusqu’à penser à le faire roi (Jn 6, 15)avec le rêve de retrouver, grâce à lui, la même dignité qu’au temps du roi David… Bref, ils mettaient en lui tous leurs espoirs pour que la vie soit meilleure à vivre au jour le jour.

Ainsi va notre monde depuis ses origines : nous évoluons selon la loi de l’utilité. Nous vivons comme nous trions nos affaires : nous ne conservons que ce qui pourrait servir. Nous gardons toutes les dernières découvertes techniques : elles sont devenues les rouages indispensables de notre mode de vie. Même les dernières découvertes scientifiques et médicales doivent servir tous, sans ségrégation. Tout est évalué sous la question : « A quoi ça peut servir ? »

Il n’est pas étonnant qu’on nous pose parfois la question – en ces termes ou en des termes différents : « La foi, à quoi ça sert ? »…. Je ne sais pas ce que vous répondez mais moi je réponds : « à rien ! » …par manière de dire que la question n’est pas bonne parce que la foi est d’un autre ordre, elle appartient à une autre logique.

Et justement, l’événement de la Transfiguration peut nous dire quelque chose d’important sur cette autre logique : cette révélation n’est demandée par personne, pas même par les disciples alors que la question de savoir qui était Jésus brûlait leurs lèvres depuis longtemps – au contraire, elle surprend, elle désoriente (cf. la proposition improvisée de Pierre), elle décontenance et finalement, il est demandé de n’en rien dire. (Notez qu’on retrouvera ces attitudes au moment des apparitions après la résurrection avec la différence qu’il sera demandé de proclamer à pleine voix que le Seigneur est vivant) Insaisissable, éphémère, la transfiguration restera uniquement dans l’ordre du merveilleux. Autrement dit : tout le contraire de la logique de l’utilité.

Toutefois, si les évangiles ont gardé souvenir de ce moment où Jésus apparaît à ses apôtres tel qu’il est, c’est bien parce qu’il aura ouvert de nouvelles perspectives : il a donné aux apôtres une première perception d’un « autre monde » où ce qui est essentiel, c’est la lumière de Dieu, celle-là même dont Jésus a rayonné de façon si intense. C’est aussi la parole du Père et la manifestation de l’Esprit qui sont associées à cet événement. Ils découvrent que Jésus appartient à cet autre monde de Dieu où tout est lumière, où tout est vérité.

Dans une des apparitions à Bernadette, Marie évoque cet autre monde qui lui est promis à elle aussi : « Je ne vous promets pas d’être heureux dans ce monde mais dans l’autre »= non pas une invitation à négliger ce monde pour privilégier celui de l’au-delà – ce serait un contre-sens – mais : je vous promets d’être heureuse non à la manière de ce monde mais à la manière de « l’autre monde », celui de l’amour de Dieu. Dans cet « autre monde » Dieu donne tout de lui pour que l’homme soit heureux.

Les responsables des sanctuaires ont proposé comme thème pour les pèlerinages de cette année la première parole des Béatitudes :« Heureux les pauvres »

Ici à Lourdes, nous nous mettrons en attitude d’apprentissage pour apprendre à rendre heureux les pauvres, les malades, les handicapés, les personnes en difficultés, celles qui souffrent de désespérer du quotidien et de l’avenir. Nous apprendrons à dépasser les logiques « utilitaires » qui sont si souvent les nôtres. Répondre à leurs besoins, oui, mais aussi leur témoigner de la gratuité. Être à leur côté « pour rien ». Gratuité, disponibilité, écoute. Être seulement présent comme Jésus témoigne d’une formidable présence à ses apôtres dans le moment de la transfiguration, et comme Marie rencontre Bernadette (pas de paroles dans les premières apparitions, mais Bernadette dira : « Elle me regardait comme une personne ») Marie révèle à la petite Bernadette qu’elle est « quelqu’un »

Être présent aux pauvres, tout comme Bernadette l’apprend de Marie. « Jaime les pauvres »dira-t-elle et pourtant, dans sa propre pauvreté, que pouvait-elle leur apporter ?

Une présence où c’est le cœur qui voit, qui entend, qui décide d’agir et qui révèle à l’autre : « Tu comptes pour moi ». Il ne s’agira plus de pauvre ou de riche, de bien portant ou de malades, d’enfants ou d’adultes… chacun a reçu un cœur capable de faire de l’autre différent un frère ou une sœur à aimer.

Tel pourront être nos jours de pèlerinage : un temps d’apprentissage pour que nous sachions ensuite mettre un peu de la lumière de la transfiguration dans les réalités de notre société, mettre un peu de cet « autre monde de Dieu » dans les relations de l’humanité… pour que tout homme sache qu’il est appelé à être heureux.

François Montagnon