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La confession de désir

Frères et sœurs,
Après vous avoir parlé de la communion de désir, qui est une façon de vivre de l’eucharistie pendant le temps de confinement mais aussi lorsque l’on ne peut pas communier habituellement, je souhaite vous parler de la confession de désir. En effet, à l’approche de Pâques le manque de propositions pour le sacrement de la réconciliation est une vraie difficulté pour ceux qui veulent préparer leur cœur au renouvellement de leur profession de foi baptismale.
C’est l’occasion de découvrir ou de retrouver les principes essentiels de ce sacrement. Il est fait pour nous remettre dans la grâce de notre baptême. Le baptême nous unit au Christ, le péché nous éloigne du Christ. Le baptême nous donne la vie divine, le péché nous abîme et même peut nous faire mourir spirituellement. Par son pardon, Dieu nous fait véritablement revivre, comme le fis prodigue de la parabole : « Mon fils que voilà était mort, et il est revenu à la vie ! » (Luc 15,32)
On peut dire du sacrement de la pénitence et de la réconciliation ce que l’on dit de l’eucharistie : de même que toute l’eucharistie ne se résume pas au geste de la communion, le sacrement de la pénitence et de la réconciliation ne se résume pas à l’absolution des péchés par le prêtre. Bien sûr, la communion comme l’absolution sont des sommets. Mais ils n’ont pas leur fin en soi. Quel est le but de l’eucharistie ? L’union dans le Christ, la vie nouvelle dans le Christ, l’unité de tous dans le Corps du Christ, l’amour pour tous dans l’amour du Christ. Quel est le but du sacrement du pardon ? La conversion au Christ, le retour dans la grâce de Dieu et dans la communion au Corps du Christ (c’est à dire aussi bien l’Eglise que l’Eucharistie), une renaissance comme celle du baptême.
L’absolution est l’une des parties essentielles du sacrement de la pénitence et de la réconciliation, et relève du prêtre seul, mais il y en a trois autres qui relèvent du pénitent lui-même, avec la grâce de Dieu, tant il est vrai que « c’est Dieu qui produit en vous la volonté et l’action » (Philippiens 2,13) : la contrition, la confession des péchés et la réparation. Or, parmi ces éléments, le premier est absolument incontournable, il est la condition sine qua non de l’absolution elle-même : c’est la contrition, c’est-à-dire le regret sincère de ses fautes. Sans cela, rien n’est possible. Sans la volonté de se convertir, c’est-à-dire de vivre selon la volonté de Dieu, d’aimer à la manière de Jésus, de progresser selon notre vocation d’enfants de Dieu, il n’y a pas lieu de recevoir le sacrement de la pénitence et de la réconciliation. Sans la reconnaissance de notre péché, il n’y a pas lieu de demander le pardon des péchés. Sans la reconnaissance des maladies qui atteignent notre cœur, il n’y a pas lieu de recevoir ce qui est désigné par l’Eglise comme l’un des « sacrements de la guérison » (avec l’onction des malades). En effet, dit Jésus, « ce ne sont pas les bien-portants qui ont besoin de médecin, mais les malades ; je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs » (Marc 2,17).
Tout commence donc par le désir de se convertir. Nous voyons que dans la parabole du père miséricordieux, celui-ci n’attend pas que son fils soit rentré à la maison pour aller à sa rencontre. Il court vers son fils « alors qu’il était encore loin » et il n’attend pas que son fils ait terminé sa parole de repentir (sa « confession ») pour lui ouvrir les bras. On ne dit pas dans la parabole si ce retour du fils est parfaitement pur. Mais il est dans la détresse et il veut revenir vers son père ; il est au fond du gouffre, il est perdu, et il veut retrouver la joie et la vie. Cela suffit à son père pour tout lui pardonner. De même pour nous, il suffit à Dieu que nous lui exprimions notre misère et notre regret pour nous ouvrir ses bras.
Lorsque nous présentons au Seigneur notre cœur et notre vie en implorant sa miséricorde, comment ne pourrait-il pas nous la manifester, avant même que nous n’allions rencontrer un prêtre ? « Tu ne repousses pas, ô mon Dieu, un cœur brisé, broyé », dit le Psaume 50 dans la liturgie.
La contrition, c’est-à-dire le regret des fautes et le désir de conversion, s’exprime donc d’abord devant Dieu, dans la prière, et attend de s’exprimer devant un prêtre, par qui Jésus a voulu passer pour nous transmettre le pardon. C’est ce que l’on appelle la « confession » proprement dite, où l’on dépose ses fautes devant l’amour de Dieu. C’est un moment parfois douloureux mais aussi libérateur, où l’on peut se rappeler aussi le psaume 31: « Je rendrai grâces au Seigneur en confessant mes péchés ». Comme pour l’enfant prodigue, c’est d’abord devant le Père que nous confessons nos péchés, et c’est encore devant le Père que nous sommes, dans le sacrement, lorsque nous nous approchons du prêtre.
Le troisième élément du sacrement est ce qu’on appelle la « satisfaction » : c’est-à-dire la réparation du mal commis. Si l’on a commis un vol, il s’agit d’abord de rendre le bien volé. Tel Zachée, qui décide non seulement de rendre, mais qui va bien au-delà, en promettant de donner quatre fois plus. Mais le mal est parfois irréparable, tel le meurtre mais aussi une parole ou un acte qui a blessé quelqu’un profondément. Il s’agit alors de faire une démarche qui exprimera un vrai repentir : une demande de pardon auprès de la personne offensée, un geste symbolique de réparation, une démarche qui exprime une vraie conscience du mal commis et le désir d’avancer sur les points qui nécessitent notre conversion. Au cours de la rencontre sacramentelle, le prêtre peut indiquer des pistes pour cela, et proposer une prière.
Enfin, et enfin seulement, vient l’absolution des péchés. Il aura fallu la prise de conscience de notre responsabilité dans le mal et le regret de nos fautes. Il aura fallu exprimer devant Dieu puis devant le prêtre la pauvre vérité de notre vie. Il aura fallu aussi mesurer les conséquences du mal et envisager différentes manières d’y remédier. Alors l’absolution, le pardon de Dieu donné par le prêtre peut prendre sa place, avoir son sens et porter ses fruits.
Que peut-on donc faire en l’absence de possibilité de rencontrer un prêtre dans cette situation de confinement, ou dans une autre situation ? Nous pouvons accomplir tout ce qui relève de la démarche du pénitent : faire la vérité dans notre cœur, la présenter à Dieu et implorer sa miséricorde. Chacun peut, sans attendre, faire une démarche qui exprime sa conversion, son désir de changement. Pour cela, particulièrement en ce temps de carême et à l’approche de la Semaine Sainte, nous sommes invités à nous rapprocher du Christ, venu prendre le poids du péché du monde. Nous pouvons laisser sa Parole nous éclairer, son amour nous habiter, son regard pénétrer notre cœur, pour le transformer à l’image de celui de Zachée, de Marie-Madeleine et de bien d’autres.
Alors, lorsqu’il sera possible, nous irons le cœur déjà transformé et joyeux rencontrer auprès d’un prêtre la miséricorde du Père pour nous en revêtir comme d’un vêtement de fête (telle notre robe de baptême), et nous pourrons chanter cette béatitude par laquelle commence le Psaume 31 déjà cité : « Heureux l’homme dont la faute est enlevée et le péché remis ».
Le sacrement de la réconciliation commence donc bien avant d’aller voir un prêtre et se prolonge bien après, dans une vie renouvelée. La « confession de désir » comporte déjà en germe le pardon de Dieu, car Dieu pardonne sans attendre, même s’il a confié à son Eglise, par le ministère des prêtres, les signes sacramentels de son salut. L’Eglise enseigne, en outre, que tout geste d’amour véritable touche le cœur de Dieu et attire sa miséricorde. « La charité couvre une multitude de péchés » (1 Pierre 4,8). Et Jésus lui-même : « Il lui est beaucoup pardonné, parce qu’elle a beaucoup aimé » (Luc 7,47). Que l’amour de Dieu nous permette donc de faire la vérité dans notre vie, et que notre vie, dans toute sa vérité, se jette dans l’amour de Dieu.
+ Thierry BRAC de la PERRIERE, évêque de Nevers
30 mars 2020