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Homélie de Mgr Thierry Brac de la Perrière pour la messe chrismale

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C’est bien l’aujourd’hui du Christ que nous célébrons dans la liturgie, ce soir comme toute cette semaine, où nous revivons la Passion et la Résurrection du Christ. Il en est de même chaque dimanche, et chaque fois que nous accueillons, par un sacrement, l’aujourd’hui du salut dans le Christ.

En cette messe chrismale, ce sont bien les gestes sauveurs du Christ qui sont au centre de la liturgie. Consacrer le saint-chrême, bénir l’huile des catéchumènes et l’huile des malades, c’est annoncer cette nouvelle année de bienfaits accordée par le Seigneur à partir de l’événement pascal. Car, dans notre foi comme dans la liturgie, c’est l’événement pascal, c’est la résurrection, qui est le point de départ de la libération des captifs et de l’illumination des aveugles. C’est la victoire du Christ sur la mort, sur le péché, sur tout ce qui opprime et détruit l’homme, qui est la bonne nouvelle à annoncer aux pauvres, à ceux qui pleurent, aux affamés, aux persécutés. Ce discours de Jésus à Nazareth annonce évidemment les Béatitudes.

« Le Seigneur m’a consacré par l’onction », dit Jésus, en reprenant les mots du prophète Isaïe. Il se désigne ainsi comme le Consacré de Dieu. Consacré non d’une onction matérielle, mais d’une onction spirituelle. C’est l’Esprit Saint lui-même qui est l’onction du Christ, tel que le Père en a témoigné lors du baptême de Jésus. Nous-mêmes, nous sommes marqués, au baptême et à la confirmation, de cette onction spirituelle de l’Esprit Saint, signifiée par l’onction du saint-chrême. Nous participons à l’être même du Christ, le Fils de Dieu, et à sa mission de libération. Nous devenons avec lui un peuple prophétique, sacerdotal et royal. Notre mission prophétique est d’annoncer le monde nouveau, la vie nouvelle, les relations nouvelles dans le Christ. Nous avons une mission prophétique d’espérance et d’amour au nom du Christ ressuscité. Notre mission sacerdotale est d’offrir le Christ et de nous offrir avec lui pour le salut du monde. Elle est de faire de toute notre vie un acte d’amour, une offrande d’amour. Notre mission royale est de servir nos frères et sœurs au nom du Christ serviteur. Serviteurs de la vérité de l’homme, de la vraie liberté humaine, du vrai bonheur de l’homme. Nous voyons combien il est important de rappeler à l’homme sa dignité. Non pas de façon générale et théorique, non pas selon de grands principes, mais en nous engageant chaque jour dans le service et la défense des plus faibles, en croyant nous-mêmes à la valeur de chaque personne rencontrée, en disant et en montrant à chacun qu’il est digne d’être aimé. Comment ne pas entendre, dans le mouvement des « gilets jaunes », cet appel à être reconnu, pris en considération, alors que l’on ne compte pas dans l’économie mondiale ? Comment ne pas entendre, dans ce mouvement sans hiérarchie, une demande de fraternité et de justice ? Bien d’autres défis sont devant nous, au nom de notre participation à la mission du Christ : entrer dans une autre relation avec notre environnement que nous épuisons, pour une vraie harmonie entre l’homme et la création, selon l’intention du Créateur. Mais aussi œuvrer à une écologie humaine, redonner le sens de la vie humaine, à l’heure des biotechnologies qui s’arrogent tout pouvoir sur la vie, et de projets de loi qui pour satisfaire des intérêts individuels bafouent l’intérêt supérieur de l’enfant, qui est de grandir avec un père et une mère.

L’onction de l’Esprit Saint, avec le signe du saint-chrême, est donnée au baptême et à la confirmation. Mais elle est aussi donnée à l’ordination des évêques et des prêtres. Sur les mains des prêtres, sur la tête de l’évêque, pour les configurer au Christ, grand-prêtre de l’Alliance nouvelle et tête de l’Eglise, son corps mystique. Consécration veut dire sanctification. Sanctification veut dire don de l’Esprit Saint pour correspondre à l’appel reçu. Quel désastre lorsque ces mains consacrées font quelque chose d’exécrable. Lorsque des êtres vulnérables sont abîmés pour toujours par ceux en qui ils avaient placé leur confiance. Lorsque le visage du Christ, ce visage d’amour, est défiguré par ceux qui doivent en être l’image. Ce désastre est bien pire que l’incendie de Notre-Dame de Paris. Il ne se répare pas avec de gros moyens financiers. Seuls la parole, l’écoute, l’amour, et même parfois seule une grâce spéciale ou même un miracle peut réparer un être profondément blessé. L’Eglise tout entière est souillée par ce scandale. Et malheureusement l’ensemble des prêtres est désormais associé, dans l’opinion publique, à cet horrible mot de pédophilie. Horrible d’autant plus que, étymologiquement, il est fait de deux mots grecs, celui d’enfant et celui d’amour. Or le pédophile n’aime pas les enfants. Il ne s’aime pas lui-même, et peut-être n’a-t-il pas été aimé, peut-être a-t-il été violenté comme ceux qu’il violente. Les prêtres, aujourd’hui, vos prêtres, vos renouveler leur engagement fait au jour de leur ordination. Ils vivent leur ministère dans des conditions difficiles. Car le ministère paroissial est un ministère difficile, tant les choses évoluent, tant la pratique religieuse baisse, tant les statistiques des baptêmes, des communions, des mariages sont en chute, tant les propositions d’aujourd’hui rejoignent peu le monde d’aujourd’hui, tant il faut dépenser d’énergie pour peu de résultats, tant les fidèles comme les prêtres vieillissent. Vos prêtres sont à la tâche, et il ne faut pas douter de leur engagement. Mais, comme dit le Psaume, « si le Seigneur ne bâtit la maison, les bâtisseurs travaillent en vain ». C’est donc vers le Seigneur que nous devons nous tourner tous ensemble, pour l’accueillir de façon renouvelée comme le Maître de la moisson. Pour que lui-même construise son Eglise, par la grâce de son Esprit. Et cette Eglise, nous en sommes tous les pierres vivantes, avec chacun des dons, des charismes qui nous viennent de l’onction de notre baptême. Ces dons, nous avons à les faire fructifier dans l’annonce de l’Evangile. Et c’est dans l’annonce de l’Evangile, c’est dans la dynamique missionnaire que l’Eglise se construit depuis les origines. Nos paroisses peuvent retrouver le feu de l’Evangile, elles peuvent retrouver le souffle missionnaire. Retrouver, ou plutôt le recevoir de façon nouvelle. Ce feu doit brûler d’abord dans le cœur de chacun, par la rencontre personnelle avec l’amour de Dieu et sa Parole. Et il doit former de petits foyers brûlants de foi, d’amour et d’espérance, dans nos villages et nos quartiers. Des foyers avec la porte toujours ouverte sur ceux qui voudraient s’y réchauffer, et avec les fenêtres ouvertes sur les besoins et les souffrances du monde. C’est à partir de ces petits foyers que sont les fraternités paroissiales, que nos paroisses, quelle que soit leur taille, pourront trouver leur nouvelle vie et leur fécondité évangélique.

Les prêtres, au milieu de vous, sont d’abord des frères, qui ont la mission de vous donner le Christ et de vous unir dans le Christ. Et c’est avec vous, dans ce lien à la fois humain et spirituel qui fait la fraternité du Christ, qu’ils peuvent vivre de façon heureuse et fructueuse leur ministère. Avec la place que chacun de vous est appelé à prendre dans le champ du Seigneur. Personne n’est inutile dans le corps du Christ, nous dit l’apôtre Paul. Le ministère des prêtres est de donner une place à chacun, de discerner les charismes et d’appeler à des fonctions particulières pour la mission. Mais rappelons-nous la petite Bernadette : à son humble place, dans son emploi d’aide soignante et tout autant dans son emploi de malade et dans celui de la prière, elle a exercé un véritable ministère. Tout à l’heure je bénirai l’huile des malades. Ne négligeons pas la force de cette onction des malades, et l’importance du soutien des malades et des personnes faibles dans la vie d’une communauté et particulièrement dans le ministère d’un prêtre. S’il y a des joies et une fécondité à trouver, c’est bien dans la proximité avec les pauvres et les souffrants.

Enfin, dans la liturgie d’aujourd’hui vous êtes invités à prier pour vos prêtres et pour votre évêque. Ce n’est pas purement formel. Les prêtres en ont besoin, j’en ai besoin. Non pour nous-mêmes, mais pour être plus fidèles à notre mission. La prière est un anticorps contre le poison de la critique et du soupçon. Si vous voyez des faiblesses chez vos prêtres et votre évêque, commencez par prier pour eux. Puis demandez à l’Esprit Saint la lumière sur ce que vous pouvez leur dire et devez leur dire, et le courage de le dire, au nom de Jésus.

Voilà, frères et sœurs, ce que le Seigneur nous dit aujourd’hui : aujourd’hui encore Jésus se révèle comme l’Alpha et l’Oméga de notre salut, il est l’aujourd’hui de la présence de Dieu au monde, il est, il était et il vient encore comme celui qui fait vivre son Eglise, qui ne cesse de la construire et de la reconstruire, qui de nos cendres est capable de nous ressusciter.

Mgr Thierry Brac de la Perrière