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Editorial : La Nièvre pays de mission ?

Je reprends ici les termes du livre du célèbre livre des abbés Godin et Daniel, La France, pays de mission ?, publié en 1943. Ces deux aumôniers de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne y faisaient état du décalage grandissant entre l’Eglise et le monde ouvrier. Il y était noté que les paroisses, chargées d’assurer la présence de l’Eglise dans l’ensemble du territoire, n’étaient pas en mesure de rejoindre une part grandissante de la population, en particulier celle des classes ouvrières. Ce sera la grande époque de l’Action catholique, qui développera un apostolat (aujourd’hui on dirait « évangélisation ») fondé sur les rencontres de proximité à partir des lieux de vie, de travail et d’engagements humains.
Le contexte social et ecclésial a bien changé depuis la dernière guerre. Mais les questions posées à l’époque apparaissent aujourd’hui dans toute leur force : qui aujourd’hui est rejoint par l’Evangile ? Le décalage entre l’Eglise et le monde est criant, l’Eglise est absente de vastes domaines de la société, et dans le registre moral (ou éthique, comme on dit aujourd’hui) elle n’est plus entendue. Les catholiques eux-mêmes sont divisés sur les questions bioéthiques (et l’affaire « Vincent Lambert » en est la dernière illustration) mais aussi sociales (accueil des migrants). Les scandales de pédocriminalité ont en outre beaucoup entamé son autorité morale.
La France, pays de mission ? Aujourd’hui le point d’interrogation n’est plus de mise. La France n’est plus chrétienne dans sa culture et de moins en moins dans sa mémoire. Notre territoire nivernais n’y fait pas exception, bien au contraire. La pratique religieuse hebdomadaire, si elle atteint 4 ou 5 pour cent dans certains diocèses, ne dépasse guère 1 pour cent dans le nôtre. A l’heure de la réforme de nos paroisses, nous devons avoir bien présent à l’esprit le fait que celles-ci ne remplissent plus – ne peuvent plus – remplir la fonction sociale qu’elles avaient lorsque l’organisation de la société, au moins dans le monde rural, était en bonne partie dépendante de celle de l’Eglise. Les paroisses, aujourd’hui, se sont presque réduites aux activités du culte et ne tissent plus le lien social comme au temps où elles correspondaient aux communes. Celles-ci ont perdu leur vitalité économique et démographique, et beaucoup de liens se sont perdus avec l’avènement de la télévision, et aujourd’hui les autres écrans.
Et pourtant ! Dans ce contexte, les paroisses, les mouvements et toute l’Eglise gardent intacte cette grande mission : annoncer l’amour de Dieu en paroles et en actes et célébrer son salut dans le Christ. Servir les pauvres, servir la croissance des jeunes, servir l’amour humain, servir les malades et les personnes fragiles, servir la fraternité humaine, la justice, la paix, tout cela est encore aujourd’hui essentiel, en même temps qu’un nouvel ensemencement des cœurs par la Parole de Dieu et un nouveau témoignage à donner d’amour, de foi et d’espérance en Jésus vivant. C’est bien à tout cela que doit se consacrer notre Eglise avec sa future organisation, dans le souffle de la Pentecôte que nous célébrons ce mois-ci.
+ Thierry Brac de la Perrière
Evêque de Nevers